Je suis consciente de mes faiblesses, mais aussi de mes possibilités de perfectionnement. Ce blog est mon pavillon d'être, mon adjuvent qui me fait supporter ma condition de femme!
L’islam serait-il si
vulnérable, si fragile, menacé un peu partout dans son existence ? Une
fiction, une caricature, un très mauvais film, peuvent-ils saper ses valeurs et
ses fondements ? En principe non. Mais de quel islam s’agit-il ? On
se pose la question au vue ces derniers temps des tensions et manifestations de
violence dans certains pays arabes et musulmans. On avait assisté à la même
colère rageuse au moment de la parution dans un journal danois des caricatures
du prophète Mahomet. Une cinquantaine de morts, des blessés, des incendies, des
cris de haine, de l’incompréhension, bref, un besoin de vengeance
incommensurable qui ne surprend que ceux qui refusent de reconnaître que
certains Etats musulmans, à défaut d’entrer dans la modernité et de cultiver la
démocratie, encouragent cette passion qui occupe les populations. Elle leur
fait oublier l’essentiel : instaurer un Etat de droit et de justice qui
favoriserait l’émergence de l’individu. Or l’individu reconnu, c’est la rupture
avec le clan, c’est le droit à la liberté, le droit de conscience, la porte
ouverte au doute et à la réflexion critique. Ce que les Etats islamiques ne
peuvent tolérer.
Le signal avait été donné
par l’Ayatollah Khomeiny en février 1989 avec la fatwa lancée contre Salman
Rushdie qui avait osé publier un ouvrage de fiction « Les versets
sataniques ». On se souvient des manifestations au Pakistan qui avaient
provoqué plusieurs morts. On se rappelle aussi du malheureux traducteur
japonais qui avait été assassiné. Alors qu’on pensait que cette fatwa était
plus ou moins abandonnée par l’Iran, voilà qu’aujourd’hui la récompense pour
tuer Salman Rushdie vient d’être augmentée jusqu’à atteindre 3,3 millions de
dollars.
Des livres critiques sur
l’islam existent. L’essai de Maxime Rodinson « Mahomet » (Seuil 1961)
est une analyse rationaliste et sans concession de la vie du prophète. Ce livre
n’a pas fait scandale. Pourtant il pose des problèmes et des questions que
nombre de croyants musulmans n’aiment pas trop aborder.
Avec « Les versets
sataniques », ce qui avait choqué les dirigeants de la jeune république
islamique d’Iran, c’était qu’un musulman ait osé évoquer des versets qu’il
fallait à tout prix ignorer et effacer des mémoires. Un musulman appartient
d’abord à « la Maison », à la Nation (la Umma), au clan, à la famille.
Il n’a pas le droit d’en sortir et surtout d’émettre la moindre critique à
propos du dogme et du livre sacré. Rushdie est musulman de naissance ; il
est donc perçu comme un traître qu’il faut punir pour avoir « ouvert la
voix au blasphème ».
Cette notion d’appartenance
absolue à la communauté fait que la laïcité est confondue avec l’athéisme et
l’apostasie. Quiconque touche au dogme rend son sang « licite ». Que
ce soit un caricaturiste libre ou un fou furieux obsédé par sa haine de
l’islam, que ce soit un journal ou un film, même absurde et abjecte, le
musulman fondamentaliste se sent le devoir de réagir et de faire savoir par
tous les moyens sa colère. Ajouter à ce réflexe les nombreuses et obscures
manipulations de certains Etats ou services, et vous avez le spectacle hideux
d’un fanatisme exacerbé et meurtrier.
Depuis que le fameux
printemps arabe a glissé vers l’islamisme, les espoirs sont déçus, les
révolutions ont avorté. D’autres acteurs sont entrés en scène et nous
promettent une longue et ténébreuse période d’instabilité. Du fait que
l’islamisme traditionnel se voit doublé sur sa droite par des mouvements plus
radicaux (les salafistes), on se surprend à trouver des excuses aux Frères
musulmans égyptiens et aux adhérents d ‘Ennahda en Tunisie. D’autres regrettent
l’ancien régime et disent qu’il vaut mieux un dictateur corrompu qu’un régime
islamiste qui démontre son incapacité à gouverner, incapable par exemple
d’empêcher des nervis salafistes de s’attaquer aux femmes et artistes en
Tunisie. En Egypte c’est plus compliqué dans la mesure où le parti salafiste
« Nour » a remporté 24,4% des suffrages aux élections législatives.
Les Frères musulmans doivent en tenir compte.
Le salafisme est une
théologie littéraliste qui refuse toute lecture rationaliste des textes sacrés.
En 1744, ils firent alliance avec le mouvement Wahabiste, du nom d’un
théologien séoudien Mohamed Abdel Wahhab qui prônait une radicalité absolue de
la foi musulmane : rejet du soufisme et du chiisme ; interdiction du
cultes des saints et du recueillement dans les cimetières. Ces dernières
décennies de nombreux mausolées abritant des saints ont été détruits en Algérie
et au Mali sans parler des statues bouddhistes explosées en mars 2001 dans la
vallée Bamiyan au Pakistan. C’est ce courant extrémiste, soutenu par l’Arabie
Séoudite, qui tente aujourd’hui de s’implanter dans les pays musulmans. C’est
ce même courant qui refuse la démocratie et tout projet de constitution puisque
seul le principe divin est législateur.
Les réactions très vives qui
secouent plusieurs pays en ce moment ont pour effet de retarder et compliquer
la fin de Bachar al Assad, champion du meurtre de masse et de bombardement des
populations civiles. S’il se maintient, ce n’est pas uniquement parce que La
Russie le soutient de manière ferme et dure. Cela compte, mais ce qui
intervient aussi dans son maintien c’est l’analyse faite aussi bien par les
Américains que par la plupart des Etats européens. La menace islamiste sur le
futur de la Syrie est avancée comme argument majeur. On sait que des brigades
comme « Ahrar al-Cham » qui ont rejoint les insurgés ne cachent pas
leur appartenance au mouvement salafiste. Même si tout le monde déplore la
barbarie du clan al-Assad, certains murmurent que s’il s’en va, la minorité
chrétienne serait en danger. Cette thèse est de plus en plus développée. Il
s’agirait d’un complot manigancé par quelques monarchies pétrolières qui ne
cachent pas leur soutien financier et politique aux islamistes aussi bien en
Syrie que dans d’autres pays arabes. Par ailleurs c’est l’Eglise orthodoxe de
Damas qui aurait insisté auprès des Russes pour ne pas lâcher Bachar. C’est
elle aussi qui a lié sa survie à celle de la minorité alaouite au pouvoir.
Les insurgés syriens sont
composés de plusieurs courants. Certains sont franchement laïcs, d’autres sont
simplement progressistes et démocrates, d’autres enfin sont islamistes. Une
fois le clan al-Assad mis hors d’état de nuire, une fois cette famille de
criminels est jugée par un tribunal international, la Syrie choisira son
destin. Il ne sert à rien de noircir le tableau et d’invoquer l’horreur
islamiste comme alternative obligatoire. Ce que le peuple syrien qui est
éprouvé dans sa chaire, blessé dans sa dignité choisira de faire, lui
appartient.
Ce qui est vulnérable dans
l’islam, ce ne sont ni son esprit ni ses valeurs, ce sont des populations
maintenues dans l’ignorance, souvent manipulées dans leur croyance. Tous ceux
qui ont essayé de lire le Coran avec le cœur de la raison ont échoué et c’est
l’irrationalisme, l’absurde et le fanatisme qui gagnent du terrain.
Cette confusion sied bien à
toutes les provocations : les salafistes français qui ont manifesté sur
les Champs Elysées ont été confortés et consolidés dans leurs préjugés. Un
jeune homme, interrogé sur France-Inter a tenu un discours de haine et de
vengeance très inquiétant, parce que, disait-il, « on a touché au
prophète ». Comment lui dire que le prophète est au-delà de toutes ces
caricatures stupides ? Ce ne sont pas les pages que publie aujourd’hui
Charlie Hebdo qui vont calmer ces manifestants toujours prêts à réagir. C’est
une provocation de trop. A quoi bon humilier un symbole cher aux cœurs des
musulmans ? Cela, qu’on le veuille ou non, participe de l’islamophobie qui
gagne du terrain. Je sais que ce journal satirique n’a jamais ménagé le pape ni
les prêtres. Nous sommes dans une démocratie où la liberté d’expression est
sacrée. Si ces nouvelles caricatures ont blessé des croyants, il faut
s’adresser à la justice et tourner le dos à cette agitation. La France est un
pays laïc. On rit de tout, même de la religion. Le prophète n’est pas dans ces
caricatures ; c’est un esprit, une transcendance, échappant à toute
représentation physique. Rappelons enfin que l’islam est soumission à la
paix, à une forme supérieure de patience et de tolérance, du moins c’est ce
qu’on m’a appris.
Un texte, des lois
Les affirmations du Coran ne sont pas toujours aussi nettes que certains
voudraient le faire croire. Elles sont parfois contradictoires. Dans ce cas,
comment savoir... ce que dit le Coran ?
Le débat contemporain sur l'islam ramène, de façon récurrente, à la question de
savoir « ce que dit le Coran » sur tel ou tel sujet : la femme et le
voile, la guerre sainte, les juifs et les chrétiens, les incroyants, le
Prophète et son image... Et l'on trouve facilement, sur ces sujets, un éventail
de réponses dont les extrêmes, celle des fondamentalistes musulmans et celle
des pourfendeurs de l'islam, se rejoignent dans leur rapport au Coran. Une
lecture tout aussi littérale que sélective sert à justifier, ou à démontrer, un
islam immuable et donc inconciliable avec les valeurs démocratiques.
Fidèle à son approche distanciée des traditions religieuses, le Monde des
Religions reprend, dans ce dossier, les thèmes les plus sujets à polémique sur
ce que dit le Coran - des affirmations pas toujours aussi nettes que certains
voudraient le faire croire. Car la lecture du livre saint de l'islam et son
interprétation n'ont rien d'évident. Ce recueil de la révélation divine
accordée à Mohamed n'est pas, en effet, organisé sur un mode chronologique ou
thématique. La plupart de ses 114 sourates (chapitres) traitent de sujets divers
et variés, souvent sans aucun lien direct entre eux. En outre, les énoncés du
Coran varient d'un passage à l'autre et se contredisent parfois.
Cette difficulté a, très vite, posé problème aux musulmans. Pour la surmonter,
ils ont, un siècle après la mort du Prophète, cherché des réponses dans ce qui
avait été transmis des propos, des faits et gestes de Mohamed et de ses proches
compagnons. Le VIIIe siècle a ainsi vu fleurir des milliers de petits récits
(hadiths). Cela, alors que moins de 10 % du Coran énonce des prescriptions
ayant une réelle portée juridique (environ 600 versets dits « légiférants »
sur un peu plus de 6 000). D'où l'importance du rôle des hadiths, qui ont,
d'autre part, servi à légitimer, par l'exemple du Prophète, les thèses des écoles
juridiques naissantes et des différentes factions de l'islam, chiites et
sunnites notamment. Beaucoup de ces hadiths ont été exhumés voire inventés en
fonction des besoins. Il fallait répondre aux situations nouvelles dans
lesquelles l'expansion de l'islam au-delà de l'Arabie avait placé les Arabes
musulmans. Cela, alors que moins d'un tiers du Coran énonce des recommandations
concernant la pratique religieuse et la vie sociale, et même moins de 10 % si
l'on n'en retient que la dimension sociale.
Au siècle suivant, les juristes musulmans se sont efforcés de faire un tri dans
ces milliers de hadiths, souvent contradictoires, à partir de critères
permettant d'établir la fiabilité de la chaîne de ceux qui étaient censés les
avoirs transmis d'une génération à l'autre. Ce travail de sélection a permis de
constituer la « sunna », la tradition prophétique. Elle repose sur un
ensemble de livres permettant d'interpréter le Coran. Mais le corpus de hadiths
considéré comme canonique (fiable) par les sunnites, depuis le Xe siècle, n'est
pas le même que celui adopté par les chiites au XIe siècle. Et, dans chacun
d'eux, beaucoup de hadiths divergent sur un même sujet, jusqu'à se contredire.
De l'abrogation à la rénovation ?
Durant la même période, afin de comprendre les variations du Coran, les
premiers savants de l'islam ont aussi étudié ce qu'ils ont appelé « les
circonstances de la Révélation ». La transmission de la Parole de Dieu par
le Prophète a, en effet, une histoire qui s'écoule au long des vingt dernières
années de la vie de Mohamed. Pour situer le contexte historique des épisodes de
la révélation coranique, deux grandes périodes ont été adoptées : le début de
la prédication à La Mecque, de 610 à 621, et sa suite à Médine, jusqu'à sa mort
en 632, peu après qu'il avait réussi à imposer l'islam aux Mecquois. Cette
science coranique distingue ainsi les sourates mecquoises, en général les plus
courtes, des sourates médinoises, plus longues. Elle a permis d'établir, parmi
les passages contradictoires du Coran, les versets « abrogeants » et les
versets « abrogés » parce qu'antérieurs dans l'histoire de la
révélation.
Ce travail de réflexion critique, sur le Coran et les hadiths, a permis aux
juristes musulmans d'élaborer les fondements de la charia aux IXe et Xe siècles
(1). Mais la loi musulmane n'a jamais été totalement univoque. Notamment parce
qu'elle est le résultat de jurisprudences établies en fonction de contextes
historiques différents et à partir de hadiths qui, malgré la sélection opérée,
varient souvent sur un même sujet. Ainsi, la charia n'est pas identique chez
les sunnites et les chiites, ni au sein même de chacune de ces deux branches de
l'islam, le sunnisme comptant, par exemple, quatre écoles juridiques.
De ce fait, les musulmans n'ont jamais eu une interprétation totalement
uniforme du Coran. Même quand il est très clair en recommandant, par exemple,
de couper la main du voleur. Car cette cruelle mutilation n'a pas été toujours
et partout mise en pratique. Elle a même été suspendue, très tôt dans l'histoire
de l'islam, par le calife Omar, second successeur du Prophète, en raison d'un
contexte de famine. Ainsi, on ne peut lire et interpréter le Coran en le
coupant de la tradition et de l'histoire musulmanes. Tout en rappelant ce que
dit (ou ne dit pas) le Coran sur tel ou tel sujet, c'est aussi ce que montre ce
dossier du Monde des Religions en se tenant à distance critique des approches,
religieuses ou autres, qui consistent à sélectionner, dans le Coran et la
tradition musulmane, les seuls éléments conformes à telle opinion ou à tel
préjugé.
Une autre simplification biaise le débat sur le Coran et l'islam. Il est, en
effet, illusoire d'espérer que les musulmans, comme certains le leur demandent
en gage de modernité, déclarent caducs des passages du Coran. Juifs et
chrétiens ne pourraient pas plus le faire avec la Bible. Pour les musulmans, le
Coran est et restera la Parole de Dieu à laquelle le Prophète n'a rien enlevé
ni ajouté. Le problème de fond est ailleurs : dans le statut du Coran et la
sacralisation de son interprétation par les docteurs de la loi musulmane. Là
encore, les musulmans ne sont pas unanimes. Nombre d'intellectuels soutiennent
une révision critique de ce pesant héritage. « Le Coran n'est pas un texte
de loi », estime ainsi le juriste tunisien Mohamed Charif pour qui le temps
est venu de « séparer définitivement droit et religion » (2).
Petit frère de Hassan El-Banna, le fondateur des Frères musulmans, l'Égyptien
Gamal El-Banna considère même qu'il faut « se débarrasser des milliers de commentaires
et de hadiths dont beaucoup ont été fabriqués et contredisent le Coran. Ces
paroles, même si elles faisaient sens à leur époque, ont mille ans et on ne
peut pas les appliquer aujourd'hui. » Adversaires des islamistes, ces
intellectuels se heurtent aussi, dans les pays musulmans, à l'hostilité des
fonctionnaires du sacré et de régimes politiques qui se servent d'une tradition
fossilisée pour maintenir un ordre social garantissant leur survie. Pour
autant, rien ne permet de prédire que la rénovation de l'islam serait, par on
ne sait quel déterminisme, vouée d'avance à l'échec. S.L.
1. Voir 20 clés pour comprendre l'islam, hors-série n° 4 du Monde des
Religions.
2. Les Penseurs d'un islam moderne, Le Monde 2 du 9 juin 2007.
Serge Lafitte a publié chez Plon la Bible et le Coran et Mahomet et l'islam des
origines (2006). À paraître en octobre : Chiites et sunnites.
Les Juifs et les chrétiens
À l'égard des Juifs et des chrétiens, les prises de position du Coran ne sont
ni définitives ni univoques. Et pour cause : elles reflètent souvent l'état des
relations entre Mohamed et « les gens du Livre », qualification
coranique qui désigne les fidèles de ces deux religions bibliques avec
lesquelles l'islam a été d'emblée en contact. Ces propos, tantôt conciliants et
affables, tantôt virulents et vindicatifs, correspondent à deux grands moments
dans la genèse de l'islam : le moment inaugural à La Mecque et le moment
constitutif à Médine. Dans son apostolat mecquois (610-622), où sa cible
principale était le paganisme arabe, Mohamed reconnaissait les hanifs, les
Juifs et les chrétiens, sans doute pour les rallier à sa cause contre les
polythéistes de Qoraïch. Dans son apostolat médinois (622-630), où il a pu
rassembler sa communauté et fonder sa cité, il n'avait plus besoin du soutien
des Juifs que certains accusent de trahison et contre lesquels s'abattra
bientôt la violence d'une armée impitoyablement puissante.
Dès lors, toute la difficulté consiste à distinguer, dans les 6 236 versets qui
composent le Coran, ce qui est essentiel et ce qui est conjoncturel, ce qui
s'inscrit dans l'absolu et ce qui relève du relatif, ou encore ce qui est de
l'ordre du « péremptoire » et celui de l'« ambigu », pour
emprunter ces deux catégories à Averroès dans son Traité décisif. En contexte
islamique, une telle démarche exégétique n'est pas toujours évidente : elle
présuppose le postulat théologique lourd de sens, jadis défendu par les
mutazilites, à savoir que le Coran est un texte créé.
Si le point de vue coranique sur les Juifs et les chrétiens découle
indubitablement de situations historiques précises, la méthode exégétique à
laquelle l'on doit recourir dans une telle problématique doit être forcément
l'explication du texte par le contexte.
À l'égard des Juifs « Abraham n'était ni juif ni chrétien » (3, 67). Dans cette affirmation
se trament les deux principaux griefs à l'égard des Juifs : le fait de se
considérer comme étant le peuple élu par Dieu et de ne point reconnaître
Mohamed comme un prophète. Le Coran reconnaît toutefois l'alliance entre Dieu
et les Juifs : « Nous avons fait alliance avec les fils d'Israël : vous
n'adorez que Dieu... » (2, 73). Mais la suite du verset montre clairement
que cette alliance n'est pas celle dont parle la Bible, ce qui délégitime les
prétentions juives à l'exclusivisme. « Ô fils d'Israël ! Souvenez-vous des
bienfaits dont je vous ai comblés. Accomplissez mon pacte » (2, 40). Selon
les exégètes, ces bienfaits sont d'abord la sortie d'Égypte, le passage de la
mer Rouge, la colonne de nuée... Et pour eux, le pacte n'est que le synonyme de
l'alliance évoquée par le Coran (2, 73).
Si ces reproches aux Juifs semblent relever du dogme coranique, d'autres sont
circonstanciels : « Les Juifs disent : la main de Dieu est fermée...Bien au
contraire, les mains de Dieu sont largement ouvertes et Dieu accorde Ses dons
comme Il veut » (5, 64). Pour certains commentateurs, les Juifs avaient de
grands biens qu'ils perdirent lorsqu'ils ont rejeté l'apostolat de Mohamed.
Pour d'autres, les Juifs constataient le dénuement du prophète malgré le verset
2, 245 suivant lequel « à celui qui fait à Dieu un prêt généreux, Il le rend
en le multipliant de nombreuses fois ».
L'aboutissement « logique » de cette série de blâmes est le verset 5, 82
: « Oui, tu trouveras vraiment que les hommes qui sont les plus violents
dans l'hostilité envers les croyants sont les Juifs et les polythéistes. »
Les exégètes classiques n'ont pas essayé de relativiser ce jugement. Ainsi,
pour al-Razi, « la doctrine des Juifs est qu'ils ont l'obligation de faire
le mal à ceux qui diffèrent d'eux dans la religion, de quelque manière que ce
soit : si c'est possible, en tuant, sinon par la spoliation, le vol ou par une
quelconque espèce de ruse, de machination et de stratagème ». D'autres
commentateurs modernes ont essayé de minimiser sa portée en recourant au
procédé contextuel. C'est le cas de Rachid Rida qui, dans son Commentaire du
Manar, défend la thèse suivant laquelle la condamnation ne concerne que les
Juifs contemporains du prophète à Médine.
À l'égard des chrétiens
De même que pour les Juifs, à l'égard des chrétiens l'attitude du Coran est
très critique. Il leur est reproché d'avoir oublié ou volontairement falsifié
leurs Écritures. Ce en raison de quoi, Dieu les invite à être fidèles à leurs
Livres : « Que les hommes de l'Évangile jugent par ce sur quoi Dieu leur a
fait révélation » (5, 47). Et plus loin, « dis, Ô vous, gens du Livre,
vous ne reposez sur rien, tant que vous ne vous en tenez pas à la Torah et à
l'Évangile et à ceux qui vous a été révélé de la part de votre Seigneur ».
Il est cependant clair que le Coran est moins sévère à l'égard des chrétiens
qu'envers les Juifs car « il y a parmi eux des prêtres et des moines et
qu'ils ne s'enflent pas d'orgueil » (5, 82). Il n'en reste pas moins que
leurs « fautes » sont beaucoup plus graves que celles des Juifs. C'est
en tout cas ce qui a été dit par des commentateurs et notamment par al-Razi ou
par al-Ghazali dans sa Réfutation excellente de la divinité de Jésus-Christ.
Fautes plus graves car elles portent sur la nature de Dieu lui-même, tandis que
les critiques à l'encontre des Juifs découlent de leur refus de reconnaître à
Mohamed le statut de prophète. Plusieurs versets condamnent violemment la thèse
des trois mystères qui sont au fondement de la foi chrétienne, à savoir la
Trinité, l'incarnation et la rédemption : « Croyez en Dieu et en Ses envoyés
et ne dites pas trois » (4, 171) ; « Ce sont à coup sûr des infidèles,
ceux qui disent que Dieu est le troisième d'une triade » (5, 73) ; «
Quand Dieu dit : Ô Jésus, fils de Marie ! Est-ce toi qui as dit aux hommes :
prenez-moi, moi et ma mère, comme deux dieux en dehors de Dieu ? » (5, 116)
; « Les chrétiens ont dit que le Messie est fils de Dieu » (9, 30), mais
« Dieu n'a pas d'enfants parce qu'Il n'a pas de compagne » (6, 110) ; «
Ils répètent ce que les incrédules disaient avant eux. Que Dieu les anéantisse
! Ils sont tellement stupides ! Ils ont pris leurs docteurs et leurs moines,
ainsi que le Messie, fils de Marie, comme seigneurs, au lieu de Dieu. Mais ils
n'ont reçu l'ordre que d'adorer un Dieu unique. Il n'y a de Dieu que lui »
(9, 29).
Combattre l'infidèle et l'hypocrite
C'est au verset 5, 51 que l'on trouve la conséquence ultime de toute cette
controverse contre les « gens du Livre » : « Ô vous qui croyez ! Ne
prenez pas les Juifs et les chrétiens comme amis. Ils sont amis les uns des
autres, et celui d'entre vous qui lie amitié avec eux devient donc l'un des
leurs. » De là à déclarer la guerre sainte contre les infidèles, il n'y a
qu'un pas : « Ô Prophète ! Combats les infidèles et les hypocrites ; sois
dur envers eux » (9, 73 et 66, 9). De même qu'on ne peut pas passer sous
silence ces versets sur lesquels se basent aujourd'hui tous les extrémistes et
les terroristes : « Combattez sur le chemin de Dieu ceux qui vous
combattent... Tuez-les partout où vous les rencontrez, et chassez-les des lieux
d'où ils vous auront chassés » (2, 190) ; ou encore « Ne prenez donc pas
d'amis parmi eux jusqu'à ce qu'ils fassent hégire sur le chemin de Dieu. S'ils
se détournent, saisissez-les et tuez-les partout où vous les trouverez »
(4, 89).
Ces versets posent aujourd'hui un grave problème à la conscience islamique. Y
toucher pour les frapper de caducité serait un sacrilège, puisque c'est la
sacralité même du Coran qui serait touchée. L'époque tumultueuse et périlleuse
que nous vivons exige pourtant que les penseurs musulmans fassent cet effort
exégétique, notamment en réactivant la théorie de l'abrogation, et jusqu'à s'arrêter
définitivement sur le verset 69 de la sourate 5, la Table : « Ceux qui
croient, les Juifs, les sabéens, les chrétiens qui croient en Dieu et au jour
dernier, et qui pratiquent la vertu, seront exempts de toute crainte et ne
seront pas affligés. » M.H.
Mezri Haddad
Philosophe tunisien et coauteur de plusieurs essais collectifs, dont la
Personne et son avenir (Au signe de la licorne, 2002) ; l'Islam est-il rebelle
à la libre critique ? (Corlet-Marianne, 2001) ; Pour un islam de paix (Albin
Michel, 2001).
Apostats et incroyants
Le musulman qui renie sa religion est promis au pire des châtiments : l'enfer.
Car c'est l'un des comportements que Dieu ne saurait pardonner. « Comment
Dieu dirigerait-il ceux qui sont devenus incrédules après avoir été croyants (...)
? Quelle sera leur récompense ? La malédiction de Dieu, celle des anges et de
tous les hommes réunis tombera certainement sur eux » (3, 85-86). Quant à
ceux-là qui se seront « entêtés dans leur incrédulité, leur repentir ne sera
pas accepté ». Car, poursuit le même passage du texte coranique, même «
si les incrédules, morts dans leur incrédulité, donnaient tout l'or de la terre
pour se racheter, cela ne serait accepté d'aucun d'entre eux : un châtiment
douloureux leur est réservé » (3, 90-91).
Maints passages du Coran répètent cette vigoureuse condamnation divine. «
Quant à celui qui se sépare du Prophète (...) et qui suit un chemin différent
de celui des croyants, nous nous détournerons de lui, comme lui-même s'est
détourné. Nous le jetterons dans la géhenne [l'enfer] » (4, 115). La
sourate précise : « Ceux qui avaient cru et qui sont ensuite devenus
incrédules, puis de nouveau croyants, puis incrédules, et qui n'ont fait que
s'entêter dans leur incrédulité : Dieu ne leur pardonnera pas » (4, 137).
Deux passages parmi d'autres, qui éclairent la première phrase, laissée en
suspension, du verset 54 de la cinquième sourate : « Ô vous qui croyez !
Quiconque d'entre vous qui rejette sa religion... »
Le châtiment divin, dans l'au-delà de la mort, ne fait ainsi aucun doute pour
les musulmans devenus apostats. En revanche, il n'y a rien de très net, dans le
Coran, autorisant quiconque à les châtier ici-bas. Un autre passage coranique
affirme simplement qu'ils ont été « abusés par le démon » (47, 25).
Certes, « ils suivent ce qui courrouce Dieu » (28). Pour autant, est-il
annoncé, « tous ceux-là [apostats et autres incrédules] ne nuisent en rien à
Dieu » car « il rendra vaines leurs œuvres » (47, 32).
Malheur aux adorateurs d'idoles
Quant aux incrédules, malheur à eux ! Tel qu'en parle le Coran, ils sont
globalement promis à un cruel destin, dans l'éternité de l'au-delà et, parfois,
dès l'ici-bas. Mais qui sont-ils ? En fait, tous ceux qui rejettent la
révélation divine transmise par Mohamed : les adorateurs d'idoles et autres
polythéistes, les Juifs et les chrétiens (avec des nuances) mais encore, plus
globalement, tous ceux qui combattent le Prophète et l'islam. « Quiconque ne croit pas en Dieu, à Ses anges, à Ses Livres, à Ses prophètes
et au Jour dernier, se trouve dans un profond égarement », affirme verset
136 de la sourate 4 qui avertit que « Dieu a préparé un châtiment
ignominieux pour les incrédules » (102). « Oui, les incrédules parmi les
gens du Livre [Juifs et chrétiens] et les polythéistes seront dans le feu de la
géhenne. Ils y demeureront immortels » (98, 6). « Dieu ne pardonnera pas
à ceux qui sont incrédules » (47, 34), qualifiés ailleurs de « suppôts
de Satan » (4, 76).
Affaire entendue ? Pas si sûr, car le Coran reste ambigu sur le sujet. Exemple,
ces versets de la sourate 8 : « Les incrédules seront réunis dans la
géhenne, pour que Dieu sépare le mauvais du bon » (37) ; « Dis aux
incrédules que s'ils cessent, on leur pardonnera ce qui est passé » (38).
Et encore : « Combattez dans le chemin de Dieu ceux qui luttent contre vous
(...). Tuez-les partout où vous les rencontrerez », est-il ordonné aux
musulmans (2, 191 ; voir aussi 8, 39). Mais « s'ils arrêtent, sachez alors
que Dieu est celui qui pardonne » ; « cessez de combattre, sauf ceux qui
sont injustes » (2, 192-193 ; même discours en 4, 89-91).
Reste donc une marge d'interprétation, comme le montrent encore ces versets : «
Telle sera la rétribution de ceux qui font la guerre contre Dieu et Son
Prophète (...). Ils seront tués ou crucifiés, ou bien leur main droite ou leur
pied gauche seront coupés, ou bien ils seront expulsés du pays » (5, 33). «
Quant à ceux qui se détournent, laissez-les... » (4, 80). Mais une chose
est assurée (4, 141) : « Dieu ne permettra pas aux incrédules de l'emporter
sur les croyants... » S.L.
Le vin et le jeu
C'est de manière graduelle que le vin a été proscrit par le Coran. Dans un
premier temps, les croyants sont invités à ne pas s'approcher de la mosquée
tant que dure leur ivresse et qu'ils ne peuvent prononcer les paroles de la
prière (4, 46). L'ivresse est alors mise au même niveau que l'état d'impureté
physique, citée dans le même verset : dans les deux cas, il faut attendre le
moment propice pour s'acquitter de ses devoirs religieux, mais aucune
culpabilité ne semble attachée à une éventuelle transgression.
Le Coran paraît même plus conciliant quand il désigne la vigne et le palmier
qui peuvent donner des fruits savoureux, « une boisson enivrante et un
excellent aliment » (16, 67). Ou quand il décrit le paradis où le vin est «
un délice pour ceux qui en boivent » (67, 15) : « On leur donnera à
boire un vin rare, cacheté par un cachet de musc, ceux qui en désirent peuvent
le convoiter, et mélangé à l'eau du Tasnim (un fleuve du paradis) une eau qui
est bue par ceux qui sont proches de Dieu » (83, 25-29).
Tout paraît sourire à Bacchus jusqu'à ce que, durant la seconde prédication, le
Coran proscrive de manière radicale toute absorption d'alcool : « Ô vous qui
croyez, sachez que le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées et les
flèches divinatoires sont une abomination et une œuvre du démon. Évitez-les ! »
(5, 90). Une précision importante : depuis l'interdit coranique jusqu'à
l'établissement ferme et définitif de la règle de droit, il s'est passé des
décennies. D'ailleurs, l'interdit des jeux de hasard n'a pas dû encore pénétrer
la mentalité collective, car beaucoup de musulmans jouent au loto
quotidiennement, misent aux courses de chevaux ou sur la victoire de leur
équipe de football. M.C.
Les femmes
L'homme et la femme, dit le Coran, sont égaux depuis leur création : Ève n'est
pas née de la côte d'Adam et elle est aussi responsable que lui face à la
tentation et à la désobéissance à laquelle les pousse Satan : « Ô Adam,
Satan est en vérité un ennemi pour toi et pour ton épouse. Qu'il ne vous fasse
pas sortir tous deux du paradis car tu seras malheureux » (20, 117). Comme
l'homme, la femme ordonne le Bien et combat le Mal : « Les croyants et les
croyantes sont solidaires les uns des autres. Ils ordonnent le bien et interdisent
le mal, ils s'acquittent de la prière, ils donnent l'aumône et ils obéissent à
Dieu et à son Prophète. Voilà ceux auxquels Dieu fera miséricorde » (9,
71). Et le Coran de préciser : « Quiconque, homme ou femme, accomplira de
bonnes œuvres, tout en étant croyant : voilà ceux qui entreront au paradis »
(4, 124).
Pour l'islam, chaque individu, indépendamment de son sexe, est moralement et
socialement responsable de ses faits et gestes. Chacun a le droit de participer
à la vie politique et à la gestion du bien commun, d'assister à la prière à la
mosquée et de prêter allégeance au Prophète. Cependant, six versets stipulent
une supériorité de l'homme sur la femme et sont retenus par certains pour faire
de la femme une éternelle mineure : ceux qui règlent les dispositions
concernant tutelle, répudiation, polygamie, valeur limitée du témoignage de la
femme et droits successoraux.
La polygamie
L'islam s'est développé dans un contexte patriarcal au sein duquel le Coran a
opté pour une réglementation de la polygamie : « Épousez, comme il vous
plaira, deux, trois ou quatre femmes. Et si vous craignez d'être injustes,
prenez une seule femme ou des esclaves que vous possédez ; ceci, afin de ne pas
faire d'injustice » (4, 3). Or, dans la même sourate, celle des Femmes, il
ajoute : « Jamais vous ne serez équitables envers chacune de vos épouses,
même si vous vous efforcez de l'être » (4, 129). Le mot « jamais »,
éloquent, est un avertissement : quel être faillible peut se croire assez juste
pour s'aviser de prendre plusieurs femmes ? Il est clair que la recommandation
d'équité est une étape vers l'abolition de cette pratique.
Le divorce « Soit on garde son épouse en la traitant convenablement, soit on s'en
sépare avec bonté » (2, 229), dit le Coran en soumettant le divorce à des
conditions de bienséance : « Quand vous répudiez vos femmes, répudiez-les
conformément à leur délai d'attente légale. Comptez les jours de ce délai.
Craignez Dieu, votre Maître ! Ne les chassez pas de leurs maisons et qu'elles
n'en sortent que si elles ont commis une turpitude manifeste. Telles sont les
normes fixées par Dieu : quiconque transgresse les normes divines se fait tort
à lui-même. (...) Au terme de ce délai d'attente, vous pourrez les retenir
d'une manière convenable ou vous séparer d'elles d'une manière convenable.
Appelez deux témoins équitables choisis parmi vous, et rendez témoignage devant
Dieu » (65, 1-2). Notons que la femme peut divorcer de son mari à condition
de rendre sa dot (2, 229).
L'héritage
À la naissance de l'islam, deux régimes successoraux ont cours en Arabie. À
Médine, la femme n'hérite pas plus que l'enfant ou l'insensé. Par contre, à La
Mecque, elle a droit à l'héritage et peut assembler une fortune personnelle,
telle Khadija, première épouse du prophète. Cet exemple a été privilégié dans
le Coran : « Aux hommes revient une part de ce que leurs parents et leurs
proches ont laissé, et aux femmes, une part de ce que leurs parents et leurs
proches ont laissé. Que cela représente peu ou beaucoup, cette part est
obligatoire » (4, 7). Des précisions sont apportées au sujet de ces parts.
D'abord, pour les enfants : « Attribuez au fils une part équivalente à celle
de deux filles. S'il n'y a que des filles, elles recevront deux tiers de
l'héritage. S'il n'y a qu'une fille, la moitié lui reviendra » (4, 11).
Ensuite, pour les époux : « La moitié de ce que laissent vos épouses vous
revient, si elles n'ont pas d'enfant. Si elles ont un enfant, vous aurez droit
au quart de ce qu'elles ont laissé (...). Vos épouses recevront le quart de ce
que vous avez laissé, si vous n'avez pas d'enfant. Si vous avez un enfant,
elles auront droit au huitième » (4, 12).
Le témoignage « Faites appel à deux témoins parmi vos hommes ; à défaut de deux hommes,
prenez un homme et deux femmes, parmi ceux que vous agréez comme témoins : si
l'une d'elles se trompe, l'autre lui rappellera ce qu'elle aura oublié »
(2, 282). Cette injonction intervient dans un verset sur les dettes dans les
transactions financières, qui sont souvent complexes et en jargon commercial
(dettes qui doivent être notées par écrit, en présence de témoins). Elle ne
peut donc être généralisée aux autres situations. D'ailleurs, la plupart des
juristes ne commettent pas cette confusion et avantagent même le témoignage de
la femme dans les cas relevant des compétences féminines - notamment les
affaires familiales.
Le voile
Le thème du hijab revient huit fois dans le Coran pour désigner une draperie,
un rideau, mais jamais un voile dont la femme doit se couvrir la tête. Le texte
mentionne ainsi le « hijab épais placé entre le paradis et la géhenne »
(7, 46) ou entre le croyant qui lit le Coran « et ceux qui ne croient pas à
la vie future » (17, 45). Le même mot est utilisé pour figurer la distance
mise en soi et les autres, telle Marie qui, enceinte de Jésus, « quitta sa
famille et se retira en un lieu vers l'Orient. Elle plaça un voile entre elle
et les siens » (19, 16-17). Le hijab désigne aussi le crépuscule derrière
lequel disparaissent les chevaux (38, 32) et la chape qui sépare les fidèles
des mécréants : « Nos cœurs sont enveloppés d'un voile épais qui nous cache
ce vers quoi tu nous appelles (...) ; un voile est placé entre nous et toi »
(41, 5). C'est par ailleurs via un messager ou derrière un voile que Dieu,
invisible, s'adresse à l'homme (42, 51), mais en même temps, c'est un voile qui
empêche les incroyants « de voir leur Seigneur » (83, 15).
La huitième occurrence concerne les femmes du Prophète qui ne sont «
comparables à aucune autre femme » : « Si vous demandez quelque objet
aux épouses du Prophète, faites-le derrière un voile. Cela est plus pur pour
vos cœurs et pour leurs cœurs » (33, 32-33). La sourate se poursuit ainsi :
« Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants,
de ramener sur elles leurs jalalib (leurs capes ou manteaux) : elles en seront
plus vite reconnues et éviteront d'être offensées » (33, 59). Il ne s'agit
pas là d'un nouvel élément vestimentaire, mais d'une injonction à la pudeur, à
laquelle doivent s'astreindre les femmes, sauf en présence de proches dont le
Coran dresse la liste et auxquels elles peuvent « montrer leurs atours »
(24, 31).
La violence conjugale
Les violences conjugales, qui étaient la norme dans l'Arabie du VIIe siècle,
ont d'abord été interdites par le Prophète qui avait imposé une sanction
pénale, autorisant les femmes battues à battre publiquement leur époux. Cette
mesure, appliquée durant trois ans, avait suscité une révolte à l'heure où la
communauté était militairement menacée. Le Coran a donc établi une nouvelle
procédure régissant les conflits au sein du couple : « Quant à celles dont
vous craignez la révulsion, procédez envers elles par persuasion, faites lit à
part, enfin frappez-les. Si elles reviennent à vous, ne soyez pas injustes
envers elles » (4, 34).
La lapidation et l'excision
L'islam considère l'adultère comme un péché nécessitant un hadd, sanction des
actes dénoncés par le Coran, donc considérés comme des crimes contre la
religion. Cependant, aucun verset coranique ne mentionne la lapidation comme
sanction possible. D'autres sanctions sont par contre mentionnées : cent coups
de lanière (24, 2), l'emprisonnement à vie (4, 15), ou encore « l'appel de
la colère de Dieu » (24, 9). Reste que la lapidation de la femme adultère,
au même titre que l'excision des fillettes, est pratiquée dans certains pays
musulmans sur la base de hadiths du Prophète... dont la véracité pose problème
à de nombreux exégètes. I.al-G.
Ikbal al-Gharbi
Docteure en anthropologie, Ikbal al-Gharbi enseigne la psychologie et
l'anthropologie religieuse à l'Institut supérieur de théologie de l'Université
Zitouna à Tunis.
Le pardon
Le thème du pardon est très présent dans le Coran où il est fréquemment rappelé
que Dieu est « celui qui pardonne ». C'est même l'un des attributs les
plus significatifs d'Allah, comme le montre la structure même du Coran dont, à
une seule exception, toutes les sourates commencent par la proclamation : «
Au nom de Dieu, celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux ». Mais Dieu
est aussi le « maître de la vengeance » (5, 95), celui qui, au jour du
Jugement dernier, récompensera ou punira en fonction des fautes commises, en
toute justice et en toute rigueur.
Dans le domaine terrestre de l'application de la Loi divine, le Coran oscille
ainsi entre punition et pardon, en insistant, globalement, sur la mesure : «
Nous avons fait de vous une communauté du juste milieu » ou « éloignée
des extrêmes », selon les traductions (2, 143). Les notions d'équité et de
justice y sont souvent liées : « Pratiquez avec constance la justice, en
témoignage de fidélité envers Dieu, et même à votre propre détriment (...). Ne
suivez pas les passions au détriment de l'équité » (4, 135 ; voir aussi 5,
42 et 49, 9).
Tranchez leurs mains
Enfin, aussi choquante qu'elle puisse paraître aujourd'hui, la loi du talion,
commune aux cultures sémitiques et reprise par le Coran, s'inscrit dans cette
exigence de la mesure en interdisant que la peine infligée excède le dommage
subi : « Le talion vous est prescrit en cas de meurtre : homme libre pour
homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme » (2, 178). Cependant,
à plusieurs reprises, et parfois dans les mêmes passages, le Coran recommande
le pardon. « Les blessures tombent sous la loi du talion ; mais celui qui
abandonnera généreusement son droit obtiendra l'expiation de ses fautes. Les
injustes sont ceux qui ne jugent pas les hommes d'après ce que Dieu a révélé »
(5, 45). « La punition d'un mal est un mal identique ; mais celui qui
pardonne et qui s'amende trouvera sa récompense auprès de Dieu. Dieu n'aime pas
les injustes » (42, 40 ; voir aussi 16, 126-127). Toutefois, le Coran
exige, dans certains cas, d'appliquer la Loi divine dans toute sa rigueur : «
Frappez la débauchée et le débauché de cent coups de fouet chacun. N'usez
d'aucune indulgence envers eux afin de respecter la religion de Dieu » (24,
2). Quant au voleur et à la voleuse, « tranchez leurs mains... » (5,
38-42).
Dieu le Miséricordieux reste malgré tout celui auquel chacun peut demander
clémence : « Demande pardon pour ton péché, pour les croyants et les
croyantes » (47, 19). Une recommandation surtout tournée vers le Jugement
dernier : « Notre Seigneur accorde ton pardon (...) le Jour où paraîtra le
compte final ! » (14, 41). C'est, dans le Coran, un engagement répété : «
Dieu reviendra sûrement à celui qui reviendra vers lui après sa faute, et qui
s'amendera. » Mais il faut compter autant sur sa miséricorde que sur sa
rigueur car « il punit qui il veut, il pardonne à qui il veut » (4,
39-40). « Dieu ne pardonne qu'à ceux qui font le mal par ignorance et qui s'en
repentent, sitôt après », est-il encore précisé. « Mais il n'y a pas de
pardon pour ceux qui font le mal » jusqu'au moment de leur mort, même s'ils
s'en repentent à ce moment. Pas plus de pardon pour les incrédules auxquels il
est promis « un châtiment douloureux » (4, 17-18). Ni pour les idolâtres
polythéistes, eux aussi voués au feu de l'enfer (3, 21-25; 10, 4 ; 48, 6). Car «
Dieu ne pardonne pas qu'on lui associe quoi que ce soit » (4, 48). Telle
est la Loi divine (4,13-14) : seul « celui qui obéit à Dieu et à son
prophète » peut espérer accéder au paradis de la vie future. Mais tout
espoir n'est pas perdu, au moins pour les hypocrites auxquels Dieu peut
finalement pardonner (33, 22-24), « s'il le veut ». S.L.
La guerre sainte
Dans le contexte apologétique moderne, on a tendance à opposer la notion de
jihad à celle de qital : seule cette dernière désignerait le combat effectif ;
la première, qui se rattache au sens général d'« effort », aurait plutôt
un sens spirituel. Ce qui permettrait de trouver dans le Coran même l'idée
énoncée dans une formule attribuée au prophète, distinguant le petit jihad,
lutte contre les infidèles, du grand jihad, lutte contre soi-même et ses
propres mauvais penchants.
Il est certain qu'il y a une ambiguïté, dans la mesure où le Coran emploie plus
souvent qital comme substantif (13 occurrences) que jihad (4 occurrences). Si
l'on prend en considération tous les composés de chaque racine, cette ambiguïté
demeure. Ceux de la racine q-t-l (170 occurrences) ont tous un sens physique.
Ceux de la racine j-h-d, beaucoup moins nombreux (41 occurrences), peuvent être
répartis en trois grands groupes.
Le premier comprendrait des sens particuliers (serments solennels, trouver le
nécessaire, les parents faisant pression sur leur enfant pour l'empêcher de se
faire musulman) qui interdisent toute conceptualisation globale. Le second
groupe a un sens général et imprécis que le croyant peut, à sa guise,
interpréter comme « faire effort pour Dieu » ou « mener combat pour
Dieu », sans que l'adversaire de ce combat soit précisé la plupart du
temps, ce qui donne latitude au croyant de le diriger soit contre lui-même soit
contre les infidèles. La formulation n'est explicitement non-violente que dans
un seul cas : « N'obéis donc pas aux infidèles et mène contre eux un grand
combat au moyen de ceci [le Coran] » (25, 52). Le troisième groupe a un
sens clairement militaire : « mener combat de ses biens et de sa personne »
(9, 41 et 88 ; 14, 81 ; 49, 15 ; 41, 11), ou « mener combat contre les
infidèles et être dur contre eux » (9, 73 ; 66, 9). Dans ce dernier cas,
certaines formules complémentaires qui leur sont accolées renforcent la portée
guerrière du terme : « Lancez-vous, légers et lourds... » (9, 41) ; le
refus opposé à ceux qui veulent être « exemptés » (9, 86) ; la
dépréciation des non-combattants (al-qaïdun, c'est-à-dire, littéralement, «
ceux qui sont assis » : 4, 95). On rejoint clairement ici l'idée de qital :
il est sans doute significatif que dans la sourate 9, que la tradition
considère généralement comme la dernière révélée, les composés des deux racines
s'équilibrent quantitativement, 12 occurrences pour la racine q-t-l, 11 pour la
racine j-h-d.
Il est donc impossible d'affirmer que le jihad coranique est uniquement
spirituel. Il apparaît au contraire qu'il y a eu une gradation. Durant la
période mecquoise, les mots composés sur la racine j-h-d semblent désigner
plutôt une guerre morale, à savoir : respecter la consigne de résister à
l'impiété environnante. Le mot d'ordre suprême est de « tenir ferme ».
Cela est ailleurs tout à fait compatible avec les très nombreuses menaces
contre les infidèles, menaces qui renvoient alors à l'idée de châtiment divin,
mais que les croyants pourront légitimement utiliser par la suite pour s'ériger
en instruments de la colère divine.
Une série de versets (61, 11-12 ; 4, 91 ; 9, 5 et 14 ; selon l'ordre
chronologique proposé par Blachère) constitue en effet une progression vers le
combat militaire. Le statut des combattants (moujahidin) est détaillé, avec
privilèges, rangs et récompenses (4, 95-96). Le texte sacré leur donne même des
conseils stratégiques : « N'appelez point à la paix alors que vous avez la
supériorité... » (67, 35).
L'islam apparaît donc comme une religion de combat. Combat intérieur, certes,
que doit mener le croyant en vue du « jour du Jugement ». Mais aussi
combat extérieur, dans la mesure où le texte coranique martèle sans cesse les
oppositions : l'islam est la seule vraie religion (61, 9), la seule vraie «
guidance » (3, 73) ; il est le « parti de Dieu » (hizb Allah) qui
aura la victoire (5, 56) contre les infidèles, lesquels sont, eux, le parti du
démon et seront perdants (58, 19-22). Le seul passage du Coran que l'on puisse
prendre à coup sûr pour une prédiction est l'annonce que l'islam dominera sur
la religion tout entière (9, 33 [qui reprend textuellement 61, 9] ; 48, 28).
Lorsque les traités juridiques classiques identifient le jihad, auquel ils
consacrent toujours un chapitre, au qital, ils procèdent à un durcissement
sémantique, mais personne ne le leur a reproché, et pour cause. En effet, le
texte coranique leur donnait une justification. Les traditions prophétiques,
par la suite, sont allées majoritairement dans ce sens. Le martyr (chahid), en
islam, est celui qui meurt en combattant pour Dieu, et non, comme dans le
christianisme, l'homme supplicié pour sa foi (l'Église catholique a refusé ce
titre au combattant mort dans la lutte). Par ailleurs, qualifier le combat de «
jihad mineur » n'a jamais signifié son élimination. L'histoire islamique a
connu nombre de soufis s'adonnant au service militaire dans les monastères
forteresses appelés ribat.
Le seul point pour lequel le droit musulman classique n'a, en la matière,
aucune justification proprement coranique, est l'extension de l'idée de jihad à
la lutte contre les rebelles et les brigands, en plus de celle contre les
infidèles et les apostats. M.-T.U.
Marie-Thérèse Urvoy
Professeur d'islamologie et d'arabe classique à l'Institut catholique de
Toulouse, elle a publié plusieurs ouvrages sur l'histoire des textes et la
pensée arabe, dont les Mots de l'islam, avec Dominique Urvoy (Presses
universitaires du Mirail, 2004).
La représentation du Prophète
Contrairement à ce que l'on pense communément, le Coran ne dit rien de précis
concernant la représentation du Prophète : la révélation divine ne condamne
clairement que l'idolâtrie, c'est-à-dire le culte des idoles. La cinquième
sourate fait des statues, ou des pierres dressées selon les traductions, «
une abomination inventée par Satan ». « Évitez-les ! », est-il
ordonné aux croyants (5, 90). Cette injonction, cohérente avec le strict
monothéisme de l'islam, est maintes fois rappelée, notamment dans les passages qui
relatent la vie d'Abraham, parfait exemple du croyant soumis à Dieu (muslim).
Il y est décrit comme un destructeur d'idoles (21, 57-69) mettant en garde ses
proches : « Abraham dit à son père Azar : Prendras-tu des idoles pour
divinités ? Je te vois, toi et ton peuple, dans un égarement manifeste »
(6, 74). Et le Prophète, lorsqu'il impose l'islam à La Mecque, détruit les
idoles de la Kaaba qui devient la « Mosquée sacrée », interdite aux
polythéistes.
De fait, Dieu n'a jamais été représenté dans l'islam. La condamnation plus
générale des images est le résultat de la réflexion des fondateurs du droit
musulman (IXe-Xe siècles) à partir du Coran et des hadiths, les propos de
Mohamed rassemblés dans la sunna, la tradition (voir p. 39). L'argument premier
concerne le risque de retomber dans l'idolâtrie. Un deuxième associe l'image
avec l'impureté, notion qui, avec celle de pureté, sépare le profane du sacré.
Un troisième s'appuie sur le monopole divin de la création : seront condamnés,
au Jugement dernier, ceux qui auront prétendu à une capacité créatrice qui
n'appartient qu'à Dieu.
Ainsi, dans l'espace sacré musulman, il n'y a pas d'images représentant des
êtres vivants, à l'exception de quelques mosquées chiites. En revanche, on en
trouve dans l'espace profane, y compris des images du Prophète comme en
témoignent les miniatures persanes. Elles ont été plus ou moins tolérées par
les juristes musulmans dans la mesure où leurs auteurs suivaient des codes
stylistiques évitant toute confusion avec la réalité. S.L.
Le plaisir
Le Coran prêche-t-il un droit au plaisir sexuel, appelé en langue arabe chahwa,
ladha ou tamattu ? Dit autrement, le Livre des musulmans promulgue-t-il une
philosophie du plaisir ? Réponse : si l'on s'en tient au texte sacré lui-même,
on peut affirmer d'une manière rationnelle que le Coran n'est pas un manuel
d'hédonisme, car ce n'est pas là sa vocation. Le vocable « plaisir »
n'est d'ailleurs pas indexé parmi les thèmes majeurs de l'horizon coranique.
A contrario, la sexualité apparaît dans une centaine de versets, notamment
grâce à sa capacité d'ordre. D'abord, un ordre social et familial qui se met en
place avec le mariage, l'héritage, la polygamie et la répudiation, mais aussi
l'interdit sexuel, le zina. Ensuite, un ordre individuel intégrant chaque
croyant au dispositif d'ensemble. Il est en effet explicitement demandé à
chaque musulman de discipliner ses émotions et d'accepter les usages en
vigueur. Cet impératif est très fortement présent dans la pédagogie coranique.
Le fait de cacher ses désirs les plus paroxystiques constitue par ailleurs
l'axe majeur de l'éducation des jeunes telle qu'elle est dispensée dans les
grandes familles musulmanes. Le souci étant de protéger la « bonne »
apparence aux yeux des tiers, car tout ce qui s'expose sans pudeur est
considéré comme une anomalie allant jusqu'à contrarier le projet de la
Révélation. Plus concrètement, il s'agit de fortifier la personnalité des
musulmans de façon à leur éviter les pièges de la tentation, toujours mauvaise
conseillère. Je parle ici évidemment du seul plaisir sexuel, car des thèmes
coraniques comme la gourmandise, la tentation du beau ou le bonheur de vivre,
an-naim, ne sont activés qu'au paradis. Aussi, la seule évocation coranique du
plaisir, de fait « un plaisir total », est présentée comme une promesse
de l'au-delà, car l'islam croit à la dualité eschatologique du paradis et de
l'enfer. Quant au paradis, les musulmans lui donnent des noms très poétiques,
janna, firdaws, zakhruf, du'am. Ils assurent qu'une terre aussi ineffable,
gorgée de toutes les licences qui sont bannies ou récusées dans la vie ici-bas,
ne s'ouvre qu'aux plus méritants. Le chemin pour y arriver, bien qu'extrêmement
ardu, est parfaitement détaillé dans le Coran. Pour cela, il faut être un
croyant exemplaire, ne jamais trébucher, être sincère dans sa foi, faire le
bien et s'acquitter scrupuleusement des obligations prescrites par le dogme.
C'est alors que la satisfaction de Dieu couronnera leur piété (3,15 ; 57,20 ;
89,28). Des dizaines de versets décrivent ce personnage extraordinaire, «
l'Être-de-Croyance » - qui, de sa vie ici-bas, va pouvoir s'élever pour
atteindre les hauteurs situées à proximité du Seigneur. Une fois arrivé là,
toute l'opulence d'une terre bénie lui est proposée : des fruits en abondance,
des parterres fleuris et ombragés, des boissons enivrantes ou pures, des filles
ou des garçons pour le servir, des sofas pour s'étendre et admirer les fastes
de la Création. Le paradis est d'ailleurs un lieu du sans-souci, autrement dit
l'inverse de la vie sur terre, avec ses nombreux tourments et inquiétudes.
Là-bas, on n'a ni chaud ni froid, on ne manque de rien et l'on est servi sur un
simple clignement d'œil. Le bon musulman aura-t-il alors une jouissance
complète des plaisirs qu'il n'a pu s'offrir ici-bas ? Rien n'est moins sûr. En
effet, le Coran semble reconduire l'attitude vertueuse exigée sur terre pour
tous les croyants, y compris ceux qui, à la fin de leur vie, ont mérité de
franchir la porte de la félicité.
Finalement, le plaisir illimité dont on crédite l'islam est le produit du
hadith, la parole délivrée par le Prophète de son vivant, exalté par une
pléiade d'exégètes musulmans. Les spécialistes du commentaire en font partie.
Il en est ainsi de Boukhari (810-870), de Muslim (817-875), de Ghazali
(1058-1111), de Nawawi (1233-1277) et de tant d'autres. Leur nombre est si
grand que j'ai dû créer, dans l'Encyclopédie de l'amour en islam (1), un terme
générique pour les nommer : ce sont « les théologiens de l'amour ». On a
aussi des traités savants consacrés au plaisir. Ils émanent soit de médecins
connus, tel Avicenne (980-1037), auteur d'une Épître sur le désir amoureux,
soit de fins littérateurs, comme al-Jahiz (776-869), l'un des premiers «
sociologues » de l'islam et auteur de nombreux petits opuscules sur des
sujets que l'on peut apparenter au plaisir, comme le bien-être, les esclaves
chanteuses, la coquetterie, le vin, etc.
Le Coran n'a abordé la question du plaisir que très accessoirement.
Généralement, celle-ci est induite de la lecture que les contemporains du
Prophète et leurs successeurs en ont donnée. D'ailleurs, aujourd'hui encore,
notre propre compréhension des versets coraniques dépend, pour partie, de ces
commentaires. M.C.
1. Encyclopédie de l'amour en islam, Payot, 2003.
Malek Chebel
Malek Chebel, anthropologue, a publié entre autres un Kama-Sutra arabe
(Peuvert, 2006),
l'Islam et la raison (Perrin, 2005) et un
Dictionnaire amoureux de l'islam (Plon, 2004).
L'homosexualité «Il dit à son peuple : vous livrez-vous à cette abomination que nul, parmi
les mondes, n'a commise avant vous ? Vous vous approchez des hommes de
préférence aux femmes pour assouvir vos passions. Vous êtes un peuple pervers »
(7, 80-81). C'est ainsi que le Coran narre l'histoire biblique de la
destruction de Sodome, rapportant les propos de Loth qui qualifie
l'homosexualité de « turpitude » (27, 54-55 ; 29, 28-29) et lance aux
habitants de la ville : « Vous êtes un peuple de transgresseurs » (26,
166). « L'anéantissement » des coupables, à l'exception de Loth et de sa
famille, est plusieurs fois rappelé.
La notion de turpitude, ou d'action infâme selon les traductions, apparaît
ailleurs dans le Coran, sans qu'il soit toujours évident de savoir si elle
qualifie l'homosexualité ou un autre comportement fautif au regard de la Loi
divine. Exemple de cette ambiguïté : « Quant à vos femmes qui commettent la
turpitude, appelez quatre témoins (...), enfermez-les coupables jusqu'à leur
mort (...) à moins que Dieu ne leur offre un moyen de salut. Si deux d'entre
vous commettent la turpitude, sévissez contre eux ! » (4, 15-17). Ou, selon
une autre traduction, « alors la torture ! » Le même passage insiste
toutefois sur le pardon offert à ceux qui se corrigent.
À ce sujet, les docteurs de la loi se sont traditionnellement accordés sur
l'interprétation la plus rigoriste, même si aujourd'hui, certains avancent une
conception plus nuancée, condamnant l'homosexualité mais pas les personnes
homosexuelles. À condition, toutefois, qu'elles ne prétendent pas à la
légitimité de l'homosexualité. Car dans l'islam, comme dans les autres
monothéismes, seule l'hétérosexualité est conforme à la Loi divine. S.L.
L'argent
Dès le début, la révélation coranique a développé le thème de la vanité des
biens. Les premières sourates révélées condamnent l'avarice comme telle. On
retrouve cette condamnation dans des sourates plus récentes, et le thème y est
diversifié : il ne faut pas être avare, mais pas non plus prodigue. Ce n'est
pas seulement un éloge du juste milieu ; la condamnation de l'avarice a sa
propre signification : il s'agit de se montrer reconnaissant envers Dieu
(l'idée d'ingratitude est exprimée par un dérivé de la même racine que celle
qui exprime l'infidélité), de savoir faire l'aumône, et enfin d'aider les
émigrés qui ont quitté La Mecque lors de l'hégire.
Outre l'avarice, c'est la fraude, c'est-à-dire le fait d'acheter en dessous du
prix normal et de vendre en dessus de lui, qui est condamnée.
À de nombreuses reprises il est proclamé que la fortune sera inutile au jour du
Jugement. Aussi vaut-il mieux laisser ses affaires pour la prière ou pour
l'audition de la prédication. Il faut noter également la remarque désabusée que
les riches sont toujours incrédules.
Sur cette base, le Coran établit des principes généraux d'une économie d'entraide.
Se référant à la biographie du prophète et aux difficultés qu'il a connues, les
plus anciennes sourates insistent sur la générosité. Elles affirment qu'il y a
un lien entre celle-ci et la foi. Tout au long du Livre est reprise l'idée que «
(les bons) donnaient la nourriture - pour l'amour du Seigneur - au pauvre, à
l'orphelin, au captif ». S'y ajoute le secours à l'insensé. C'est ce qui
explique l'importance primordiale de l'aumône. Celle-ci est instituée
rituellement, sous le nom de zakat. Il est à remarquer que le Coran ne comprend
que l'injonction à pratiquer celle-ci ; aucune des déterminations techniques du
droit ultérieur n'y trouve directement sa source, mais seulement par «
analogie ». Il faut noter aussi que, avec la prière, elle est la marque de
l'appartenance au nombre des croyants (9, 5, 11). Ceux-ci sont exhortés à faire
confiance en la libéralité, même matérielle, de Dieu : « [Marquez] de la
bienfaisance à vos pères et mères. Ne tuez pas vos enfants de crainte du
dénuement. Nous vous attribuerons, ainsi qu'à eux, [le nécessaire...] » (6,
152).
L'expiation des fautes peut avoir des répercussions économiques. L'argent n'y
intervient qu'indirectement, sous la forme des frais engagés pour nourrir
plusieurs pauvres. Outre la volonté d'élévation morale, le texte manifeste le
désir d'utilisation optimale des circonstances. C'est ainsi qu'il est ordonné
de donner, mais à bon escient : a) par bonne gestion personnelle (« Donne
son droit au proche, ainsi qu'au pauvre et au voyageur, mais ne fait point de
grandes dissipations : les dissipateurs sont frères des démons et le démon,
envers son Seigneur, est très ingrat » ; 17, 28-29) ; b) mais aussi du
point de vue de la communauté : « Les aumônes sont seulement pour les
besogneux, les pauvres, ceux œuvrant pour elles, ceux dont les cœurs sont
ralliés, ainsi que pour les esclaves, [pour] les débiteurs, [pour la lutte]
dans le chemin de Dieu et pour le voyageur » (9, 60).
Le Coran donne également un certain nombre de règles particulières. La taxation
fait l'objet d'une brève injonction, dont l'application pratique n'a pu être
explicitée que par les méthodes déductives des juristes à partir d'autres
sources (traditions orales, pratiques locales) : « C'est lui qui a fait
croître (...) les palmiers, les céréales (...), les oliviers et les grenadiers
(...). Mangez de leurs fruits, quand ils produisent. Donnez le droit les
frappant, au jour de la récolte, et ne soyez point impies » (6, 142).
Curieusement, dans une société essentiellement marchande (foires et caravanes),
le thème des échanges ne fait l'objet que de peu de prescriptions, dont la
plupart restent vagues. Le commerce est licite ; il est même recommandé plutôt
que la vie improductive ; on peut le pratiquer même pendant le pèlerinage. Il
faut se montrer honnête, « donner juste mesure et bon poids, avec équité »
(6, 153), mais les transactions directes ne requièrent pas de contrôle
extérieur.
Si le vol et le brigandage sont condamnés et soumis au châtiment de
l'amputation des mains (5, 42), en revanche le butin obtenu « sur la voie de
Dieu » fait l'objet de nombreuses remarques : il est un don gratuit de
Dieu, sur lequel il faut distraire des aumônes, et dont le cinquième doit
revenir au Prophète dans un but d'entraide, la liste des bénéficiaires étant
soigneusement précisée (59, 7-8). Il n'y a cependant qu'une vague allusion à la
possibilité de tirer rançon des captifs.
Là où le Coran est plus explicite et témoigne de la volonté d'établir un ordre
nouveau, c'est la question des engagements. L'usure, qui ne saurait être
assimilée à un commerce, est formellement condamnée (2, 276-277). Il faut être
conciliant envers le débiteur et la communauté peut aider celui-ci avec le
butin. Mais les dettes ne sont pas annulées par la mort et sont transférées à
l'héritier (4, 13-15).
Les domaines économiques les plus nettement détaillés dans le Coran sont d'une
part celui du bien des épouses, des femmes répudiées, des veuves et des
orphelins, et d'autre part les règles de partage de l'héritage. Mais l'aspect
monétaire n'y est pas distingué des biens meubles, il ne le sera que plus tard,
par les juristes. M.-T.U.
La loi au-delà du Coran
La charia et son rapport au Coran font l'objet d'une double méprise : le Livre
saint serait la source unique de la loi en islam et toutes les règles y
seraient formulées.
Contrairement au Deutéronome et au Lévitique bibliques, le Coran ne se présente
pas sous la forme d'un « code » : les versets législatifs, près de 500
sur un total de 6 236 (soit 8 % de l'ensemble) y sont éparpillés de manière désordonnée,
principalement dans les sourates médinoises, datées à partir de l'installation
de Mohamed à Médine, en 622. Par ailleurs, il arrive que des versets se
contredisent.
Dès la fin du ixe siècle, les juristes musulmans ont défini deux sources de Loi
: le Coran d'abord, la sunna ensuite, c'est-à-dire le corpus des règles
édictées théoriquement par le Prophète, inspirées à lui par Dieu lui-même et
transmises oralement par ses disciples aux générations ultérieures des fidèles.
Ce sont donc à la fois ses recommandations, les défenses formulées par lui,
ainsi que ses décisions. Concrètement, la sunna se présente sous forme de
hadiths (propos), des textes plus ou moins brefs, qui ont la forme d'un
discours rapporté, direct ou indirect. Tout hadith est constitué de deux
parties : une liste de noms qui reproduit le processus de transmission orale
(untel m'a rapporté qu'untel lui a rapporté... que le Prophète a dit ou
fait...) et un énoncé. Les sunnites en ont retenu six compilations majeures et
les chiites, quatre.
Aux yeux des oulémas, seul le Coran est la parole de Dieu ; quant à la sunna,
elle recouvre les propos de Mohamed, parfois des premières autorités
musulmanes, donc des propos humains, bien que d'inspiration divine. C'est sans
aucun doute à un juriste de la fin du VIIIe siècle, Chafii, que l'on doit
l'élaboration théorique des relations entre Coran et sunna qui est à la base du
sunnisme. « La sunna de l'Envoyé de Dieu explicite, écrit-il, les
significations voulues par Dieu ; elle constitue une indication pour le sens
particulier ou le sens général du discours divin. En outre, Dieu a lié la
sagesse à la sunna et à son Livre en la mentionnant immédiatement à leur suite.
» On ne doit pas non plus perdre de vue que le Coran formule explicitement
l'obligation pour les fidèles d'obéir à Mohamed (4, 59 et 80). Ainsi selon
Chafii et les oulémas sunnites qui le suivront sur ce plan, c'est le Coran
lui-même qui énonce le concept de sunna et reconnaît l'autorité législative du
prophète.
Le fait est qu'en islam de nombreuses règles (peut-être la majorité) sont
fondées non sur le Coran, mais sur les hadiths. Le Coran lui-même ne peut
parfois être interprété sans le recours à ce dernier. Dans la mesure où la
hiérarchie des sources de la théorie légale islamique semble donner la
prééminence au Coran, on pourrait en conclure que ce dernier devrait toujours
primer sur le plan légal. Or le système islamique ignore l'idée de hiérarchie
des normes, qui prévaut dans les droits de la tradition occidentale. On a même
parfois le sentiment que les juristes musulmans donnent la prééminence à la
sunna au détriment du Coran. Par exemple, alors que le verset 2, 282 prescrit
d'enregistrer par écrit les dettes devant témoins, la loi islamique ne
reconnaît en aucune façon à l'écrit la valeur d'une preuve et lui préfère de
loin le témoignage oral.
Contradictoire en apparence
On sait par ailleurs que certains versets coraniques se contredisent. Exégètes
et théologiens considèrent que la contradiction n'y est qu'apparente. Elle doit
donc s'expliquer. La révélation du Coran étant prise dans le temps, disent-ils,
les contradictions trouvent leur solution dans l'établissement de cette
chronologie. Ce type d'explication entre dans le cadre de la théorie de
l'abrogation, qui distingue trois cas. Le premier cas, c'est quand un verset
est définitivement ôté du texte coranique et que la règle qu'il énonçait est
abandonnée. Le deuxième cas est plus intéressant car le texte continue à être
récité alors que la règle est abrogée. Par exemple, le vin. Les quatre versets
en cause auraient été révélés dans l'ordre qui suit : le premier verset (16,
67) n'énonce aucune prohibition ; le second (2, 219) reconnaît dans le vin
l'existence de qualités positives et négatives, tout en notant que ces
dernières sont plus importantes. Dans le troisième (4, 43), il est ordonné aux
croyants de ne pas procéder à la prière alors qu'ils sont ivres (il s'agit
d'une défense ponctuelle de consommer des boissons enivrantes). Le dernier
verset (5, 90) statue de manière plus nette puisqu'il ordonne aux croyants
l'évitement du vin. Selon les juristes, c'est la règle énoncée par ce dernier
verset qui s'impose à tous les musulmans. L'exégèse prohibitive est renforcée
par de nombreux hadiths : « Celui qui boit du vin dans ce monde, n'en boira
pas dans l'autre, sauf s'il vient à résipiscence » ; « le vin a été
maudit, de même que celui qui le fabrique, celui qui le vend, celui qui le
transporte, celui qui vit du revenu qu'il procure, celui qui en sert à autrui
comme celui qui en boit ». C'est également sur la base de hadiths que
l'interdiction frappe les autres boissons enivrantes.
Quand la règle survit au verset
Le troisième cas de l'abrogation est le plus surprenant : alors que le texte du
verset disparaît du Coran, la règle est maintenue. Comment le sait-on ? Grâce à
la tradition, donc aux hadiths. Le cas le plus célèbre est celui de la
lapidation pour délit d'adultère. Selon les oulémas, la législation musulmane a
commencé par punir ce délit par l'enfermement (4, 15). Dans une deuxième étape
(24, 2), la punition est la flagellation. Ainsi selon eux, les versets de la
sourate 24, postérieurs à ceux de la sourate 4, les abrogent et les remplacent.
Plus encore, un troisième verset, qui prescrivait la lapidation, aurait été ôté
du corpus coranique, sans que la règle ait été abrogée. La tradition fournit
elle-même de nombreux textes en faveur de cette punition. À plusieurs reprises,
Mohamed l'aurait lui-même mise en application. C'est sur la base de ces deux «
aurait » que les musulmans rigoristes refusent de l'abroger.
Ce dernier cas pose d'ailleurs un problème délicat, sur lequel les juristes se
sont divisés : la sunna peut-elle abroger le Coran ? Chafii s'y est opposé :
selon lui, il ne peut être question d'abrogation qu'à l'intérieur du même ensemble
textuel (le Coran abroge le Coran, la sunna, la sunna). Plus tard, d'autres
juristes admettront que la sunna peut abroger le Coran (ils parlent alors
d'éclaircissement). Prenons un exemple. Le verset 4, 23 donne la liste des
femmes prohibées, dont les parentes de l'épouse : il est défendu à un homme
d'épouser la mère ou la fille de son épouse, même après séparation, de même
qu'il lui est défendu d'avoir deux sœurs comme co-épouses. Selon la loi
islamique (version sunnite), il est également défendu d'avoir comme co-épouses
une femme et sa nièce. Cette extension est justifiée par un hadith, dont il
existe de nombreuses versions. Dans ce cas, il est difficile de parler
d'abrogation stricto sensu, il s'agit plutôt d'une loi complémentaire.
Vers une science du commentaire
La relation des musulmans au Coran n'est pas réductible à la relation d'un
lecteur à n'importe quel livre : ils ne s'efforcent pas de le comprendre par
eux-mêmes, car ils sont convaincus que son sens ne peut que leur échapper.
L'interprétation n'est pas un acte individuel ; le lecteur doit aller vers le
sens du Coran à travers la grille de lecture qu'impose la communauté. Pour
comprendre comment les musulmans lisent le Coran, il faut connaître la
tradition exégétique dans laquelle ils s'inscrivent et le corpus qui leur a été
transmis. Au sujet de chaque verset, il existe, dès le Xe siècle, des hadiths
qui peuvent diverger plus ou moins fortement. Du côté sunnite, il est
remarquable que la plupart du temps ces hadiths ne sont pas le fait de Mohamed,
mais d'autorités secondaires, soit des Compagnons, soit des Suivants, qui sont
les disciples de ces derniers. Prenons un exemple précis : le grand
commentateur Tabari (mort en 923) face au verset 24, 31, qui est un des
fondements du voile féminin. Il invoque 67 hadiths, dont 4 seulement sont des
hadiths du prophète (6 %), les autres appartenant aux Compagnons (30 %) et
surtout aux Suivants (60 %).
Dès la constitution de la science du commentaire coranique comme discipline à
part entière, le corpus des traditions exégétiques a été canonisé et assimilé
ainsi à une « orthodoxie ». Du côté du chiisme, le Coran est
principalement interprété à la lumière de la tradition exégétique des imams.
Les différences entre sunnisme et chiisme s'expliquent souvent de ce point de
vue en raison de l'histoire singulière de la constitution de chacun des deux
corpus. Toutefois, notamment dans le domaine juridique, il y a souvent une
grande proximité. Aussi pour revenir au voile féminin, il faut savoir que si le
sens du Coran n'est pas explicite, les traditions exégétiques le sont : elles
définissent de manière très concrète ce que doit être ce voile, dans un
contexte proche-oriental où, depuis l'Antiquité la plus haute, les femmes de
condition libre devaient se voiler. M.H.B.
Mohammed Hocine Benkheira
Spécialiste du droit musulman et des grands textes juridiques de l'islam
classique, maître de conférences à l'École pratique des hautes études à Paris.
في أكثر من موضع
أصر كاتب هذه السطور- لأسباب سوف توضحها المقالة - على ضرورة ضبط مصطلح
الثورة ، من حيث كانت بدايته علم الميكانيك الذي يطلق اسم الثورة
Revolution على دوران الجسم 360 درجة حول محوره، ومن هذه الحركة استعار
علم الاجتماع السياسي تلك التسمية ليسبغها على كل حركة اجتماعية تؤدي إلى
انقلاب في بنيات السياسة، مصحوب بتغيير راديكالي شامل في أوضاع الملكية. ذلك
هو التعريف "الثوري" لمصطلح الثورة من وجهة نظر المادية التاريخية، أما
الفكر البورجوازي فلا يشترط اقتران الثورة بتغيير أوضاع الملكية، وهذا ما
يفسر وصف كثير من التطورات التاريخية الطبيعية بـ " الثورة " كما في تسمية
الزمن اللاحق للنهضة الأوربية بعصر "الثورة الصناعية " والزمن التالي لها
بعصر " ثورة الاتصالات " و"الثورة المعرفية " ...الخ وهي تعبيرات مجازية
مقصود منها تفريغ مصطلح الثورة من مضمونه الإنساني وتحويله إلي لعبة من
ألعاب اللغة . ولما كانت اللغة هي وعاء الفكر، بل ربما تكون هي الفكر
ذاته؛ فلقد برهنت القواميس العربية على غياب مصطلح الثورة بالمعاني
السابقة ، إذ تشير تلك القواميس إلى معان جد مختلفة : الهيجان ، والهياج ،
والفتنة ، وتأليب الرعاع على الحاكم ....الخ بل إن ابن منظور صاحب "لسان
العرب" لا يلتقط من الجذر اللغوي للكلمة غير " الثؤرة " أي طلب الثأر الذي
هو " الذحل" أي العداوة والحقد. وهذا كله مفهوم ومنطقي بحسبان أن المصطلح
ُيصك حسب ُ حين يكون القوم بحاجة إليه ، وحيث غاب عن العرب معنى السياسة –
كما بين ابن خلدون في المقدمة – فلقد كان طبيعيا ً أن ينصرف مدلول الثورة
عندهم إلى تلك الأغراض البائسة. وقياسا ً على تخلف هذا "الما صدق"
لمفهوم الثورة عن الممارسة Praxis في التراث اللغوي العربي ، رأينا أبناء
العربية المعاصرين يستوردون قشرة المفهوم من اللغات الأجنبية ليزرعوها
زرعاً فظا ً في أرضهم كلما جاءهم انقلاب عسكري أو قاموا بتمرد أو بهبة
جماهيرية محدودة المطالب ما يكرس في لغتهم ذلك الغياب الوجودي - بحد تعبير
جاك دريدا- للثورة بمعناها العلمي الدقيق. ربما يحاج أحدهم قائلا:
وفيم الضرر لو استخدم الناس تعبير " الثورة" في موضع " الانتفاضة" Rising
up ؟ الجواب: هو ضرر كبير لا ريب فيه. لأننا لا نطابق بين المتزوج Marred
وبين الخاطب Engaged حيث الأول له مركز قانوني تحق به الحقوق ، أما الثاني
فله – كما يقول فقهاء القانون – مجرد الأمل. وهذا بالضبط ما يفسر لوعة
وفجيعة من قاموا بانتفاضة يناير حين يروون معظم مطالبهم لما تتحقق بعد.
ولعلهم يهدأون قليلا لو عكفوا على ضبط المصطلح ، لأدركوا عندئذ أن امتلاك
الأمل (في انجاب أطفال من الجميلة) شئ ، وممارسة حقوق الزوج شئ آخر. ذلك
ما لا يماري فيه أحد لارتباط مغزاه بتجاربنا الاجتماعية من قديم العصور،
في حين تختلط مفاهيم التمرد والانتفاضة والهبة بمفهوم الثورة بسبب قطيعته
الأنطولوجية والإبستيمية مع تاريخنا القديم والمعاصر.فما هو البديل اللغوي
المتاح لتوطين المصطلح هذا في التربة "المصرية على الأقل " ؟ هل نعمد إلى
إحياء دعوة سلامة موسي التي أطلقها في النصف الأول من القرن الماضي قصد
إحلال العامية المصرية محل الفصحى الوافدة مع الفتح العربي في القرن
السابع الميلادي ؟ واقع الحال يقول إن هذه الدعوة لم تلق ترحيبا ً من
الأوساط الثقافية لأن ما تم إتلافه ( اللغة المصرية ) طوال تلك القرون لهو
مما يستحيل إصلاحه بقرار فوقي كالقرار الذي أصدره عبد الملك بن مروان عام
708 ميلادي بـ " فرض " العربية الفصحى لغة للدواوين ، ومن الواضح أن ذلك
القرار لم ينجح إلا عند المثقفين حال تأهلهم للكتابة حسب ُ بينما بقيت
العامية المصرية Mother tongue لغة الأم يستخدمها في الحياة اليومية جميع
الناس عواماً ومثقفين . إن ذلك الإتلاف – غير المتعمد بالطبع - للغة
المصرية إنما كان انعكاسا ً لسوء الأحوال التي أناخت بكلكلها على ظهور
المحكومين المصريين طوال عصور الهيمنة الأموية فالعباسية فالفاطمية ثم
العثمانية . حتى إذا بلغنا عصرنا الحالي ألفينا المصرية العامية - وقد
صارت بما آلت إليه – مستهجنة ً يخجل من استعمالها السياسيون والكتاب ممن
يتعاملون مع أجهزة الميديا بينما يسعدهم إقحام بعض الكلمات والتعبيرات
الإنجليزية أو الفرنسية في أحاديثهم ! وهم في هذا معذورون بمقدار ما أمست
عليه لغتهم المصرية من عجز فيلولوجي ومورفولوجي عن حمل الأفكار ذات
المستوى الرفيع. وبالمقابل فلا بد من التماس العذر للعامة ولغتهم
القاصرة نتيجة التدهور الحياتي والثقافي المشهود واقعيا ً، وهل ُيتصور أن
ُيطالب أفراد الطبقات الشعبية ، الذين يعانون أشد المعاناة في سبيل العيش
، مجرد العيش بأن ينتجوا فكرا ً ذا مضامين فلسفية، أو حتى أدبا ً رفيعاً
يعبر عن هموم العصر؟! لست أخفي أنني أنتقد هيمنة اللغة العربية التي
أكتب بها ، ولكن هذا النقد الذاتي لن يكون له مردود إلا حين يتحول إلى
سؤال سوسيوثقافي صيغته : إلى متى تظل هذه الهيمنة ؟ إلي أن يتم إتلافها
على يد لغة أخرى؟! وهل يمكن للغة الانجليزية أن تحل محل لغتنا العربية "
الجميلة" ؟ ساعتها سوف تكون الكارثة مضاعفة ، فاللغة المصرية التي انصهرت
في لغة قريش سوف تنتقل من مرحلة الإتلاف إلى حالة الانقراض فالتلاشي
حينذاك. فما الحل ؟ ربما يأتي هذا الحل ( المنشود بشدة )على أيدي
الكتاب والأدباء والمفكرين الواعين بخطورة الأمر، وهو حل لا يلجأ إلى
النصائح والتحذيرات ، بل يأتي يقينا ً عبر ترقية الإنتاج الفكري والأدبي ،
وربط غايات الإبداع بالممارسات اللغوية المخصبة بفكر إنساني ينبذ
الشوفينية والفاشية الثقافية ، ويحترم خصوصيات الناس جميعا ً، وبالتحديد
خصوصيات الأقليات من المختلفين مع الأكثرية عقائديا ًوعرقيا ً ومذهبيا
ً...الخ يومها سوف يكون بالمستطاع ليس فقط توطين مصطلح الثورة (
المستورد ) بالتربة المصرية والعربية ، بل سيكون بمقدورنا نحن خلقه
بأيدينا ، وتنشئته على أعيننا ، ثم استخدامه الاستخدام العلمي الصحيح .
ليس ضروريا ً أن تكون الكتابة دعوة لشئ محدد . ذلك ما يبتغيه
الأيديولوجيون ، وتلامذة الهندسة الاجتماعية ممن يتعاملون مع البشر
بحسبانهم " موضوعات" قل موجودات في ذاتها لا موجودات لذاتها ، وهؤلاء
وأولئك فاشيون بغير شك . الكتابة الحقيقية أداة كشف، إنها أقرب لأجهزة
الأشعة التي تظهر الخلل وتشير إلى موضعه داخل الجسد ، أما العلاج فعائد
إلى الناس أنفسهم ، إن شاءوا استكانوا لما هم عليه ، وإن رفضوا وضعية
"المفعول به "فلهم ذلك. كل انتفاضة جماهيرية – حتى وإن نجحت في
إسقاط "طاغيتها " الدكتاتور وأعوانه – لا يمكن أن ُتسمى ثورة ً ، ما لم
تؤصل في روح الشعب الإيمان بأنه سيد مصيره . _______________________________