La langue tunisienne d’hier et d’aujourd’hui (1ère partie)
Par Rafik Ben HASSINE*
La Tunisie a joué un très grand rôle dans le monde antique. Elle a eu une forte influence culturelle au cours d'un itinéraire marqué par une grande longévité historique (prÈs de 1800 ans, de 1101 avant J-C. à 700 après J.-C.). La place privilégiée qu'elle a occupée à l'époque pré-romaine est liée au destin exceptionnel de Carthage, prestigieuse métropole à la tête d'un empire couvrant le Maghreb et une partie de l'Europe, et qui a profondément marqué de son empreinte des domaines aussi divers que l'agriculture, l'artisanat, la navigation, le commerce, la religion, les institutions politiques et l'art. Particulièrement précieux, le legs carthaginois a ensuite favorisé, à l'époque romaine, l'épanouissement prodigieux d'une civilisation aux immenses ressources matérielles et culturelles. Grâce à un développement harmonieux, la Tunisie a alors été capable de jouer, à l'échelle de la Méditerranée, un rôle économique, politique et culturel prépondérant.
Durant cette période antique, avant la conquête arabe, nos ancêtres tunisiens parlaient-ils berbère, latin ou punique ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui?
Le paysage linguistique tunisien
Nous utilisons aujourd’hui quatre langues :
(1) Le vernaculaire (c'est-à-dire la langue locale communément parlée) majoritaire, désigné à tort comme arabe dialectal, et que nous appelons derji ou derija. C’est l’objet de notre article.
(2) Le vernaculaire minoritaire est traditionnellement désigné par le générique «berbère» ou tamazight, quasiment disparu en Tunisie, mais vivant en Algérie et au Maroc. Selon le Congrès mondial amazigh (ONG), les amazighophones représentent entre 5 et 10 % de la population totale de la Tunisie et sont principalement concentrés dans le Sud (Djerba, Matmata, Tataouine, Médenine, Kébili, Tozeur). D’autres groupes subsistent également sur la côte méditerranéenne, à l’ouest, le long de la frontière avec l’Algérie (monts de Tébessa, Le Kef, Siliana) et dans la région de Gafsa. Dans ce qui suit, nous n’allons pas discuter de la place de la langue berbère en Tunisie. Victime d’une politique de mépris, voire d’ostracisme, la langue de nos premiers ancêtres a été intentionnellement éradiquée. Mon père me racontait que, dans les années 1930, les dockers du port de Tunis parlaient berbère entre eux.
Les espaces institutionnels, pour leur part, recourent
(3) soit à la langue arabe, langue «nationale» et officielle,
(4) soit à la langue française, langue des sciences et techniques ou de communication internationale.
Les tentatives d’arabisation
L'arabisation a commencé dès le 8e siècle, et très tôt, ses échecs ont été dénoncés par des savants arabes tels que Ibnu Jinni (auteur de Al-Khassaïs («Les particularismes»). En effet, depuis 1.500 ans, malgré tous les efforts d’arabisation, aucun peuple arabe ne parle l’arabe dit classique ou littéral (celui des journaux, de la télévision et des livres). Chaque pays arabe dispose de son propre idiome, dit «arabe dialectal». L’arabe littéral reste donc l’apanage des gens cultivés, ou ayant un niveau donné d’études. Un citoyen qui n’a pas étudié l’arabe littéral ne comprend pas, ou peu, l’arabe des médias, parce que cet arabe n’est pas la langue du peuple, quoi qu’en disent nos dirigeants, notre Constitution et nos élites. Ainsi donc, les indépendances des pays du Maghreb, au lieu de sonner l’heure de l’émancipation des langues natives, dont la langue derija, ont minoré ces langues au profit d’une arabisation dont personne ne parvient à déterminer l’ancrage effectif.
On a certes produit un espace "arabe moderne" qui se cristallise dans les médias et la littérature. Cependant, cet arabe moderne n'est jamais parvenu à devenir la langue maternelle de quiconque. Une fois franchie la zone de l'écrit, les locuteurs arabes reviennent à leurs langues natives et maternelles. Quant à l’arabe savant, celui des théologiens et des prédicateurs, il doit être incompréhensible, car sinon comment expliquer le comportement sauvage et violent des militants islamistes ? A moins que ceux-ci ne soient analphabètes, ce qui est tout aussi plausible.
Par ailleurs, la situation de l'arabe littéral dans le monde s'avère fondamentalement différente de celle des autres grandes langues internationales. Son aire d'extension géographique est limitée à deux continents limitrophes (Afrique et Asie), et son caractère diglossique nuit à son expansion (la diglossie est le fait pour une communauté de parler deux langues, l'une à usage domestique, l'autre à usage véhiculaire ou officiel). Cet arabe classique n'a pas réussi encore à se moderniser complètement et sa dépendance à l'égard de l'anglais ou du français demeure très grande. S'il est relativement aisé de créer des commissions de terminologie en arabisation, il est beaucoup plus difficile de faire appliquer les décisions. Toutefois, l’étendue de l'islam au-delà des pays arabes assure une extension de l'arabe comme langue liturgique des musulmans, contribuant ainsi à son utilisation aussi comme lingua franca des musulmans (une lingua franca est une langue véhiculaire utilisée par un groupe composé de personnes de langues maternelles diverses). Par exemple, «les Abbassides encouragèrent plus encore une civilisation cosmopolite, dont Bagdad fut le centre et l'arabe la lingua franca.» (P.J. Vatikiotis, L'Islam et l'État, 1987).
À l'exception du monde arabe, on n'enseigne pas cette langue en tant que langue étrangère, sauf dans les universités et départements spécialisés, ou bien pour les enfants d’immigrés arabes. L'enseignement des langues étrangères semble être l'apanage de l'anglais, du français, de l'espagnol, du russe, du chinois et du japonais.
La langue majoritaire du Maghreb
Le derji tunisien étant très proche des autres derji maghrébins, nous allons nous intéresser à l’ensemble de ces derji. Cet ensemble de parlers populaires est appelé maghribi par les linguistes arabes du Moyen- Orient. Cette appellation a été utilisée aussi par les linguistes européens C. Ferguson et W. Marçais. Le maghribi est donc la grande famille occidentale de l'arabe dit «dialectal». Les pièces de théâtre, les «talk- shows» et autres émissions télévisées en maghribi sont les plus suivis par le public maghrébin, comparativement aux émissions analogues émises en arabe littéral. Il est bien dommage que la littérature écrite derija, qui était assez répandue sous l’ère coloniale, ait été abandonnée sous les indépendances. Mais un retour progressif est en train de se réaliser. Par exemple, au Maroc, il y a quelques domaines où le derji a commencé à paraître dans une forme écrite : le domaine théâtral avec la publication récente de quelques pièces (notamment les comédies composées par Yu¯suf Fa¯del et Tayyeb Saddiqi) ; la création du premier journal écrit exclusivement en derji, l’hebdomadaire Akhba¯r Bla¯d-na (Nouvelles de notre pays) où sont publiés des proverbes et des dictons, des contes, des devinettes, etc. La directrice de cette revue, Mme Elena Prentice, d’origine américaine, a choisi comme langue de communication le dialecte marocain afin de rendre la lecture plus facile aux personnes illettrées, notamment les femmes. Pour ces personnes, il est très difficile de comprendre l’arabe littéral.
Actuellement, des linguistes du Maghreb tentent d'instituer le maghribi comme langue propre à cette région. Un projet, appelé justement «projet maghribi», mobilise des experts maghrébins, dont les plus avancés sont algériens. Il s’intéresse à tous les termes usuels que prononcent quotidiennement les habitants des 6 pays: Mauritanie, Sahara Occidental, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye. Pour les détenteurs de cette initiative, fonder un moyen de communication, pourtant déjà usité par les populations de la région concernée, devient une nécessité pour la couverture de la souveraineté culturelle et politique des peuples maghrébins.
Un professeur d’économétrie algérien, Abdelkrim Rachid Benbahmed, vient de démontrer par les textes, preuves historiques à l’appui, que le derji n’est qu’une survivance de la langue punique de nos ancêtres punico-berbères, mâtiné d’arabe. Cette thèse est appuyée et démontrée par un autre professeur de linguistique algérien, Abdou Alimam.
Auteur : R.B.H. *(Ingénieur à la retraite)
Ajouté le : 04-07-2011
1 commentaire:
azul fellawen,
votre theorie n'est que des suppositions sans fondements...le punique de carthage est morte de belle mort apres la destruction de carthage par les amazigh et les romains...
je ne vois pas pourquoi vous voyez le punique ou il n'ya pas...izdef c'est un mot amazigh et non punique.!
tanmirt ar timlillit
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