mardi 4 octobre 2011

« Le monde est écrasé par le mercantilisme « made in China »…


En marge du colloque international: «Nouveaux enjeux, nouvelles perspectives économiques et sociales des pays de la rive sud de la Méditerranée - Jean Paul Guichard, économiste à l’Université Nice Sophia Antipolis

« Le monde est écrasé par le mercantilisme « made in China »…
La Chine a désindustrialisé la Tunisie »
Depuis 2007, le monde est entré dans une crise majeure prolongée. La Chine mène une stratégie conquérante pour ravir l'hégémonie mondiale aux Etats-Unis : cette stratégie se manifeste sur tous les fronts (économique, financier, militaire, diplomatique, culturel, etc.) ; son dispositif central étant monétaire, elle constitue un " impérialisme économique ".

 Face à l'agression de la Chine, les pays développés doivent se mobiliser et se tenir prêts, s'il le faut, à quitter l'OMC pour fonder une OMC bis avec les pays qui rejettent l'attitude de la Chine. La Tunisie est dans la même situation car la Chine comme nous le précise Jean Paul Guichard professeur d’économie à l’Université Nice Sophia Antipolis est en train de tuer l’économie tunisienne et comme l’a dit Napoléon Bonaparte en 1816« si la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». La Chine s’est éveillée et de bons apôtres nous disent qu’il ne faut pas trembler. M.Guichard qui s’intéresse aux relations internationales et à l’analyse économique a été l’hôte du colloque international « Nouveaux enjeux, nouvelles perspectives économiques et sociales des pays de la rive Sud de la Méditerranée » organisé par l’Université Centrale à Hammamet du 29 septembre au 1er octobre
Le Temps: comment jugez-vous la situation économique de la Tunisie ?
Jean Paul Guichard : la situation économique de la Tunisie est très semblable à celle d’autres pays notamment le Maroc, le Mexique et la Turquie ; finalement pas très différente des pays développés qui connaissent une crise profonde et calamiteuse. Cette crise que connaît une grande partie du monde est liée au déséquilibre fondamental du commerce mondial dont une large mesure, la Chine est responsable par le protectionnisme à base de sous-évaluation monétaire qui permet à ce pays d’énormes excédents commerciaux et qui se répercute par d’énormes déficits commerciaux sur la plupart des pays. Il s’agit des pays d’Europe, de la Méditerranée et d’Amérique. Cela veut dire qu’on importe davantage de biens plus qu’on exporte. De plus en plus les pays se désindustrialisent c'est-à-dire les industries quittent ces pays. En Tunisie, l’industrie textile s’est bien développée sauf à partir du moment où la Chine a été admise par l’organisation mondiale du commerce en 2001, les importations que l’Europe aurait pu faire en Tunisie ont été faites en Asie et notamment en Chine. La Tunisie n’a pas eu les exportations sur lesquelles elle aurait pu compter pour se développer. Ceci c’est pour dire qu’actuellement, la Tunisie a un solde commercial négatif avec le reste du monde. Cela constitue un handicap pour sa croissance. Ce solde négatif est dû surtout à un solde commerciale négatif avec la Chine. Avec l’Europe, il est positif. Cela veut dire désindustrialisation de la Tunisie. Ce déficit extérieur explique le manque de croissance économique d’où montée de chômage et peu de revenus et de recettes pour l’Etat et augmentation des dépenses à caractère social. D’où déficit des finances publiques. Cette situation est analogue à l’Egypte, au Maroc, à la Turquie. Prenez un exemple, les produits artisanaux vendus aux touristes étaient fabriqués avant par les tunisiens. Désormais, tous ces produits sont importés de la Chine. C'est-à-dire que ce pays détruit l’artisanat des pays de la Méditerranée et aussi l’industrie européenne et américaine. L’industrie tunisienne continuera à être détruite si on continue à commercer dans le monde sur les bases actuelles c’est-à-dire des taux de change entre les monnaies. Le problème c’est que la Chine maintient un cours de sa monnaie qui est deux fois moindre que ce qui devait être. Cela constitue un dumping parce que tous les produits chinois apparaissent bon marché et réciproquement, la Chine importe très peu parce que les produits importés apparaissent à ses consommateurs très élevés. L’Europe comme les pays de la Rive Sud sont embarqués dans le même bateau.
Pensez-vous que l’Europe peut aider la Tunisie pour booster son économie ?
Mais non, l’Europe est dans une situation calamiteuse, très difficile. La crise de la Grèce met en péril l’existence même de l’Euro. On essaie de colmater les brèches. Mais on n’arrive pas car l’Europe est endettée avec un commerce extérieur déficitaire. La Tunisie n’est pas très endettée vis-à-vis de l’extérieur. Elle a une dette extérieure publique de 40% d’une année de produit intérieur brut. Elle est moins endettée que l’Europe qui est aux alentours de 80 à 100 %. Donc, la situation est calamiteuse. Il faut donc mettre un terme à cette montée de l’endettement.
Quel modèle économique la Tunisie devra-t-elle choisir pour l’avenir ?
Il faut absolument que tous les pays qui ont un commerce extérieur déficitaire avec l’Asie s’entendent entre eux car leurs industries ont été toutes détruites par la Chine on fabrique tout en Chine. Même les canapés made in Italie, la poterie made in Nabeul sont fabriqués en Chine. Actuellement, le monde est écrasé par le mercantilisme « made in China »Changeant des technologies contre une main d'œuvre bon marché la Chine a su ouvrir à son profit le marché mondial, grâce à la complicité des multinationales et tout en maintenant son protectionnisme monétaire et l'organisation totalitaire de sa société. Résultat, la Chine rachète aujourd'hui nos infrastructures et nos entreprises et on se pose la question de savoir si le régime chinois peut continuer longtemps à bénéficier de cette complaisance et à profiter de son libre accès au marché mondial sans avoir à revaloriser sa monnaie ? Il faut que tous les pays du monde victimes de ce système s’entendent entre eux pour dire que cela ne peut pas durer. Il faut changer les règles du jeu du commerce mondial et notamment de la fixation du taux de change de la Chine, qui manipule sa monnaie, de telle sorte que le reste du monde ait un commerce équilibré avec la Chine et dans cette affaire, les intérêts des pays de la Méditerranée et de l’Europe sont les mêmes. Pour que la Tunisie puisse retrouver de la croissance, il faut qu’elle rééquilibre son commerce extérieur déjà déficitaire. Dans les conditions actuelles, c’est impossible sauf si la Tunisie dévalue sa monnaie. De ce fait là, elle saura plus compétitive. Ses produits apparaîtront pour l’extérieur comme un prix moins élevé. La Tunisie augmentera ses exportations et réduira ses importations. Sa balance commerciale changera. C’est la condition de la réindustrialisation et la clé pour la croissance économique pour qu’elle puisse stopper la montée du chômage. Le rétablissement du commerce extérieur passe par un changement de parité monétaire. C’est une chance qu’a la Tunisie et non la Grèce. Cette dernière est déficitaire dans son commerce extérieur. Chose qui a nourri un déficit énorme de ses finances publiques. La Grèce est incapable de rembourser ses dettes. Elle sera obligée de déclarer faillite.
Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA

Aucun commentaire: